En Corse, roadtrip d’exception dans des vignobles en plein renouveau, entre terre et mer


GRAND REPORTAGE – Des vins très recherchés, des paysages à couper le souffle, des hébergements étonnants, des tables gourmandes… D’Ajaccio au cap Corse, de Sartène à Bonifacio, les vignobles de l’île de Beauté se réinventent et ouvrent grand leurs portes.

L’embarcation barrée par Antoine Paverani quitte à petite vitesse le port encore désert de Santa Severa, sur la côte est du cap Corse. Il est 5 h 40 du matin. Le ciel s’éclaire progressivement, mais le soleil n’a pas encore fait son apparition. Une question de minutes. Sur une mer d’huile nous mettons le cap au nord en longeant le rivage. À bord du bateau, nos guides, Lina Pieretti et son mari Alain Venturi, propriétaires du domaine viticole Pieretti situé aussi à Santa Severa, nous détaillent avec passion ce que l’on voit.

Avec les premiers rayons du soleil, les teintes du décor changent à chaque instant. En arrière-plan, le relief du cap Corse donne un caractère majestueux au paysage. Plus bas, les rochers qui plongent dans la mer semblent rougir. Des contrastes de vert apparaissent entre la végétation foisonnante du maquis et des parcelles de vignes bien rangées. Une grande partie des 15 hectares du domaine Pieretti sont regroupés là sur quelques centaines de mètres, se fondant dans les mouvements chaotiques du terrain. Les pieds les plus bas s’approchent à quelques mètres des falaises. Vu de notre bateau, la montagne, la mer et le vin ne font qu’un.

Le domaine Pieretti illustre ce que l’on observe un peu partout dans l’île de Beauté. À côté des sentiers de randonnée, des plages et des villages de montagne, les vignobles s’affirment comme une nouvelle attraction, proposant une autre façon de voyager en Corse. S’approcher d’eux, c’est découvrir des sites étonnants au cœur d’une nature totalement préservée. Sous l’impulsion de personnalités fortes et passionnées, qui non seulement améliorent fortement la qualité de leurs vins, dont la plus grande partie est vendue localement, mais qui multiplient les initiatives pour accueillir le public. Maisons d’hôtes, bergeries à louer, restaurants, caveaux de dégustation, visites guidées des caves et des vignobles, concerts en plein air… l’œnotourisme est en plein boom. Un scénario positif qui marque un nouveau tournant dans une histoire aussi longue que mouvementée.

Dès 600 ans avant J.-C.

En pleine nature, les vignes bio du domaine Abbatucci.
Anne-Emmanuelle Thion pour «Le Figaro Magazine»

La présence de vignes en Corse est en effet ancestrale. Les Grecs, puis les Romains y ont beaucoup planté pour subvenir à leurs besoins 600 ans avant J.-C. Ensuite, au fil des siècles, la filière viticole a connu des hauts et des bas. Elle se portait très bien quand la crise du phylloxéra l’a frappée à la fin du XIXe siècle, entraînant son éradication. Dans les années 1960, les rapatriés d’Algérie ont massivement replanté pour produire des vins de table, notamment sur la côte est, entre Porto-Vecchio et Bastia. Mais leur approche ultraproductiviste n’a pas résisté à la crise économique.

Vingt mille hectares ont dû être arrachés dans les années 1970. Un peu plus tard, une nouvelle génération de viticulteurs a repris le flambeau. En misant cette fois sur une montée en gamme facilitée par le climat tempéré, par la nature des sols et, surtout, par la qualité des cépages autochtones, notamment le sciaccarellu, un rouge souvent comparé au pinot noir et le vermentinu, un blanc très apprécié. Les vignerons les plus obstinés comme Jean-Charles Abbatucci, installé au cœur de la verdoyante vallée du Taravo, entre Ajaccio et Propriano, traquent aussi sans relâche et font revivre une flopée de cépages endémiques qui ont survécu aux épreuves du temps.

Un petit miracle

La chapelle Sainte-Lucie domine la côte ouest du cap Corse.
Anne-Emmanuelle Thion pour «Le Figaro Magazine»

Désormais épaulés ou remplacés par leurs enfants, ces pionniers cherchent à se faire connaître, à faire découvrir leur site. Exemple aux portes d’Ajaccio. Comme ailleurs en France, l’urbanisation gagne sans cesse du terrain sur la campagne. C’est donc un petit miracle si le domaine Comte Peraldi, situé sur la commune, a pu rester intact. On y accède d’ailleurs juste après avoir longé le centre hospitalier flambant neuf. Une fois le porche d’entrée franchi, le contraste est total : on traverse des vignes avant d’arriver devant un ensemble de bâtiments où sont regroupés les caves de vinification et de vieillissement, les bureaux et le caveau de dégustation.

Magie du relief accidenté, Ajaccio semble très loin. « Ce domaine est dans la famille depuis 1546, raconte Charlotte Lemonnier, qui le dirige avec son frère Amaury. Quand j’étais petite, c’était la campagne ici. On s’est fait encercler par la ville. On a intérêt à être bons si l’on veut préserver tout ça. » Être bon, cela veut notamment dire s’ouvrir au public. Un espace réceptif naturel a été aménagé sous des eucalyptus. Au moment où nous arrivons, un groupe de salariés d’une entreprise termine justement un jeu de piste dans les vignes par une dégustation. « Les particuliers peuvent aussi réserver des pique-niques », indique Charlotte Lemonnier. À la belle saison, les événements s’enchaînent : concerts, soirées stand-up, restaurants éphémères et apéros Peraldi. Autant d’occasions de faire découvrir les vins à des publics différents. Et plus jeunes.

Un peu plus au sud, à côté du village d’Olmeto, le domaine Sant Armettu joue aussi la carte des balades dans son vignoble. Deux fois par semaine, chaque mardi et vendredi matin, des groupes de dix personnes passent plus de deux heures à crapahuter en baskets sur un terrain vallonné dans un cadre superbe. Les parcelles de vignes et les plantations d’oliviers, la deuxième ressource de l’exploitation, sont exposées aux vents qui remontent de la mer et sont surplombées de petits massifs montagneux.

Sur la route des vins corses


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À la pointe basse de l’île, la famille Zuria adopte la même démarche. Déjà très investie dans la filière des clémentines bio, elle a décidé de faire renaître les vins de Bonifacio en 2010. Elle dispose déjà de 16 hectares de vignes répartis sur plusieurs parcelles dont certaines jouxtent la mer. Au printemps 2021, le domaine s’est doté d’une cave ultramoderne pourvue d’un espace de réception et d’une belle terrasse. Comme on la voit très bien de la route très passante qui relie Porto-Vecchio à Bonifacio, les curieux affluent. Des visites agrémentées d’une dégustation sont désormais proposées deux fois par jour. Tous les vendredis, un événement convivial autour d’un cochon cuit à la broche est également organisé. Auparavant, en hiver, des cours de yoga et des concerts polyphoniques se sont déroulés dans la cave au milieu des cuves.

Rien de mieux que la musique pour créer de la convivialité : c’est la conviction de Marc Imbert qui a succédé à son père Christian, décédé en août 2023, à la tête du domaine de Torraccia à Lecci, sur les hauteurs de Porto-Vecchio. Ce vigneron chaleureux et au regard bienveillant nous montre une partie de ses 42 hectares de vignes qui dominent le golfe de Pinarello. Nous nous arrêtons à l’endroit où une estrade est dressée entre plusieurs parcelles. Le cadre est idyllique : le public fait face aux musiciens et à la mer. « Nous organisons ici de nombreux spectacles jusqu’au début du mois d’août, moment où nous commençons à préparer les vendanges », explique Marc Imbert.

Nouveaux hébergements dans les vignes

Dégustation au domaine Tarra di l’Apa.
Anne-Emmanuelle Thion pour «Le Figaro Magazine»

Certains de ses collègues vont encore plus loin en se lançant dans la restauration et l’hôtellerie. Ils ont en tête les modèles voisins de la Sardaigne et de la Toscane où les vins ne représentent plus que 50% du chiffre d’affaires des exploitations.

Racheter les gîtes qui appartiennent à son voisin le plus proche, c’est ainsi le rêve de Romain Salasca, un apiculteur qui s’est diversifié dans le vin en 2014 en créant le domaine Tarra di l’Apa (terre de l’abeille). Il nous a fixé rendez-vous dans la cave qu’il a inaugurée en 2023, sa fierté. Il aime recevoir : en haut de son vignoble entouré de montagnes, il a installé, à l’ombre, une grande table en bois où il partage fromages et saucissons, arrosés de ses vins. Accaparé par ses ruches et ses 10 hectares de vignes, il reconnaît manquer de temps pour développer l’accueil des visiteurs. « Mais cela se fera », promet-il.

Au sud d’Ajaccio, la vigneronne Eloïse Bianchetti réfléchit également à un projet d’hébergement. Elle a pris seule les commandes du clos Capitoro, un domaine géré par sa famille depuis 1856, après le décès de son père en 2022. Pour l’instant, elle vit encore, avec sa sœur, dans la maison familiale de six chambres, située sur les hauteurs du vignoble. Mais elle aimerait transformer celle-ci en maison d’hôtes proposant des dîners chez le vigneron. « Nous sommes tous à la recherche d’authenticité et de calme à la campagne, plaide Eloïse Bianchetti. C’est vraiment un projet qui me tient à cœur. »

Dans la belle et sauvage vallée de l’Ortolo, qui descend de Sartène vers la mer, une autre viticultrice, Élisabeth Quilichini, a pris un peu d’avance sur sa consœur. Elle a aménagé trois grands gîtes en bas de son domaine Castellu di Baricci qui se distingue par ses allées de cyprès. Il est vrai qu’elle a des voisins qui donnent l’exemple. Deux kilomètres plus haut dans la vallée, Julie et Philippe Farinelli se sont attelés à une tâche dantesque en 1998 : rénover le hameau abandonné de Saparale. Le projet d’une vie.

Ils ont d’abord restructuré le vignoble de 55 hectares et construit une nouvelle cave avant de rénover trois bergeries isolées, chacune équipée d’une piscine, proposées à la location. Prochaine étape : l’ouverture d’un hôtel de charme de 17 chambres et d’un restaurant. Le chantier devrait s’achever à la fin de l’été 2024. Dans le couple, les tâches sont bien réparties : Philippe pilote la vigne et les travaux, Julie gère l’accueil de ses hôtes. Aux petits soins, elle leur indique volontiers des sites à visiter dans les environs comme la fromagerie Mallaroni, située sur une petite route qui serpente vers Sartène ou la distillerie d’huiles essentielles Vitalba.

Secrets d’artisans

Au cap Corse, le vignoble du domaine Pieretti plonge vers la mer.
Anne-Emmanuelle Thion pour «Le Figaro Magazine»

Bons plans, adresses d’artisans ou merveilles architecturales secrètes à visiter… les vignerons que nous avons rencontrés délivrent toujours des conseils précieux pour découvrir une Corse dont on ne connaît jamais tous les secrets. Exemple avec Jean-Baptiste de Peretti della Rocca, un entrepreneur de prêt-à-porter qui a changé de vie pour créer, en partant de zéro, un domaine, une maison d’hôtes et un restaurant à côté de Figari. Il nous envoie à Levie, un village de montagne, à la rencontre de son cousin Pierre-Yves Thomas qui fabrique des couteaux dans une maison de village, et du sculpteur Stéphane Deguilhen, spécialisé dans les bronzes d’animaux en mouvement.

Retour à Santa Severa. Après nous avoir montré son domaine, Lina Pieretti tient à nous emmener dans le village de son enfance, situé sur les hauteurs. Et à nous guider vers une chapelle qui domine la mer de l’autre côté du cap Corse. Au moment de la quitter, elle nous tend des saucissons fabriqués par le charcutier local, Laurent Zonda. Un petit cadeau qui ne se refuse pas. Nous trouverons une occasion de le partager avec une bonne bouteille !


Carnet de route

Le Figaro.
Le Figaro

Notre sélection d’hébergements

Les Mouettes (04.95.50.40.40). Une irrésistible atmosphère de vacances imprègne cet hôtel 4 étoiles idéalement situé face au golfe d’Ajaccio. La table gastronomique, A Terrazza, accorde une belle place aux produits de la mer et de saison (à partir de 60€ à la carte). Piscine au-dessus de la mer, plage de sable et chambres lumineuses. À partir de 160€ la nuit.

Hôtel Marinca & Spa.
Anne-Emmanuelle Thion pour «Le Figaro Magazine»

Hôtel Marinca & Spa (04.95.70.09.00). Décorées de boiseries claires, les 40 chambres et les 15 suites de cet hôtel 5 étoiles d’Olmeto font toutes face à la mer. Ses points forts : la grande plage privée, le spa Clarins et la table récompensée d’une étoile en 2024. À partir de 320€ la nuit.

La chambre d’une bergerie du domaine Saparale.
Anne-Emmanuelle Thion pour «Le Figaro Magazine»

Domaine Saparale (04.95.77.15.52). Dans la vallée de l’Ortolo, près de Sartène, le domaine viticole Saparale loue 3 bergeries de luxe, chacune équipée d’une piscine. À partir de 590€ pour 2 nuits.

Domaine de Peretti della Rocca.
Anne-Emmanuelle Thion pour «Le Figaro Magazine»

Domaine de Peretti della Rocca (04.95.72.96.81). Décoration tendance, bergeries indépendantes, cabane dans les arbres et immersion dans les vignes… Voici le domaine de Peretti della Rocca, inauguré en 2020 à proximité de Figari. À partir de 150€ la nuit.

Hôtel U Capu Biancu.
Anne-Emmanuelle Thion pour «Le Figaro Magazine»

U Capu Biancu (04.95.73.05.58). Isolé entre maquis et mer, près de Bonifacio, cet hôtel 4 étoiles dispose de superbes plages ourlées d’eaux cristallines. Appréciée de tous les vignerons corses, la jeune sommelière Vanessa Maloyer gère la cave avec passion. À partir de 350€ la nuit.

L’hôtel Castel Brando.
Anne-Emmanuelle Thion pour «Le Figaro Magazine»

Castel Brando (04.95.30.10.30). À Erbalunga, cette ancienne maison d’Américains est devenue, au fil des rénovations, un bel établissement de 37 chambres. Dans la demeure historique de 1853, les Junior suites disposent d’un salon-bibliothèque. À partir de 125€ la nuit. Son restaurant, Les Américains, sert une cuisine corse à base d’ingrédients locaux sélectionnés avec soin, comme les langoustines et les araignées pêchées au large (plat à partir de 37€).

Nos bonnes tables

Sole e Monte (04.95.25.61.41). Près d’Ajaccio, cette auberge de montagne domine un paysage superbe. Dans l’assiette, imaginée par l’ancien sommelier Romain Aicardi, les ingrédients locaux déroulent une partition gourmande. Belle sélection de vins. Autour de 50€ à la carte.

Le Frère (04.95.24.36.30). Chez les frères Abbatucci, Jacques élève des veaux tigres, Jean-Charles fait des vins qu’Henri sert dans son restaurant, perdu dans la nature, à Casalabriva. Goûtez ses étonnantes tripes de veau à la clémentine ! Menu à 58€.

U Sirenu (04.95.77.21.85). Une belle adresse dédiée à la cuisine traditionnelle, dans un virage sur la route entre Sartène et Bonifacio. Jardin. Autour de 30€ à la carte.

A Spartera (04.95.72.96.81). Les grands classiques de la cuisine corse font bonne figure dans ce restaurant au style contemporain ouvert sur les vignes. À partir de 45€ à la carte.

Veni e Posa (06.22.56.12.10). La carte de ce restaurant installé dans le domaine viticole de Terra Vecchia, à côté d’Aléria, navigue entre terre et mer. De la mosaïque de langoustine à la côte de veau au jus de viande et thym. À partir de 38€ à la carte.

A Pasturella (06.62.68.88.68). Sur le petit port de Santa Severa, un restaurant-boutique original : à l’intérieur, on chine des meubles et des objets ; à l’extérieur, on se régale de plats simples comme les beignets au fromage de brebis. Autour de 30€ à la carte.

Rapporter

Le Chemin des Vignobles (04.95.51.46.61). Dans les faubourgs d’Ajaccio, la plus belle cave de vins corses : 350 des 1650 domaines de l’île y sont représentés. Plusieurs millésimes anciens démontrent leur capacité de garde.

La coutellerie de l’Alta Rocca (04.95.74.05.13). À Levie, cette petite entreprise artisanale forge des produits d’exception dont le fameux cornicciolu, un couteau de berger pliant. À partir de 180€.

Fromagerie Mallaroni (06.14.49.84.77). Fromages fabriqués avec le lait du troupeau de la maison. Entre 29 et 40€ le kilo.

À voir, à faire

Cap Corse Location (07.71.11.66.09). À Santa Severa. Location de bateaux semi-rigides pour explorer le nord de la Corse. Avec ou sans skipper. À partir de 350€ la journée.

Autour du 20 (04.95.22.20.82). Dans la vallée du Prunelli, au sud-est d’Ajaccio, Raphaël Pierre-Bianchetti a aménagé sa maison, et sa cave pour dispenser des initiations ludiques au vin sous la forme d’un escape game. À partir de 40€ par personne.



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