L’histoire remonte à 2012, en Asie, où Vincent Cervoni – en charge de l’antenne du CIV Corse à Hong Kong – rencontre Charles, le fils de Richard Geoffroy. Les deux hommes se lient d’amitié et quelques années plus tard, imaginent déjà ce projet insulaire. En 2021, leur idée prend forme, restait à trouver un prestataire pour concrétiser un tel projet : ce sera la cave coopérative d’Aléria qui dispose des vignes et des outils nécessaires à la prise de mousse.
Avec l’appui de l’œnologue Nick Lane (ex-Cloudy Bay, il pilote également des mousseux en Angleterre), Richard Geoffroy conseille et devient le chef d’orchestre de cette audacieuse partition. L’exigence est de mise : cahier des charges pour chaque cépage, choix des maturités, élevage long sur lies et prise de mousse maîtrisés… Avvizza Ultra Brut 2023 est né, dans la catégorie vin mousseux de qualité.
Des cépages corses en vedette
L’assemblage est inédit dans sa catégorie : sciaccarellu (40 %), vermentinu (35 %) et biancu gentile (25 %). Ce dernier plaît d’ailleurs beaucoup à Richard Geoffroy « récolté tôt, c’est une tuerie ! ». Vinifiés séparément, ils sont réunis en cuve close pour la prise de mousse, une première en Corse avec cet assemblage. Il assume pleinement ce choix : « En Champagne, j’ai parfois trouvé la méthode Charmat plus réussie que certaines prises de mousse en bouteille. » Dix longs mois sur lies, un seul tirage en janvier 2025, un dosage faible (3 g/l) : la bulle est fine, la fraîcheur préservée, sans chercher à imiter le champagne.
Dégustation
Avvizza Ultra Brut 2023 affiche une robe or clair aux bulles fines et régulières. Le nez, subtilement réduit à l’ouverture, révèle des notes de pêche, de fruits rouge et noir. La bouche associe droiture et confort, avec une mousse tactile, ouatée, désaltérante et une finale marquée par le sciaccarellu. « Nous avons travaillé la bulle et les lies pour obtenir tension et pureté, sans excès de dosage », précise Richard Geoffroy. C’est une bulle apéritive, idéale aussi avec les beignets de brocciu, fruits de mer, poissons grillés ou fromages de chèvre et de brebis et bien sûr la charcuterie corse. Servir à 10 °C.
Élaboré en bouteilles et en magnums, le millésime 2023 est limité à environ 5 000 exemplaires, proposés autour de 30 €. En Corse, on le trouve au Domaine de Murtoli, au Mouflon d’Or, à La Villa, au Capu Biancu ou encore chez L’Empreinte Caviste (Bastia). Sur le continent, il débute sa commercialisation, le chef trois étoiles Michelin Arnaud Lallement (L’Assiette Champenoise, Reims) l’a adopté et le sert déjà au verre.
Une effervescence encore marginale
En Corse, la tradition ce sont avant tout les vins tranquilles et de plus en plus les cépages insulaires, les vins pétillants reposent essentiellement sur le muscat vinifié en cuve close. Les coopératives maîtrisent déjà la technique, Vignerons d’Aghione en est leader avec plus de 700 000 bouteilles par an, destinées à l’île, au continent et à l’export. Aucun cadre d’appellation n’existe encore pour les mousseux corses, ils sont classés en mousseux de qualité et certains cépages n’ont pas le droit d’être mentionnés sur l’étiquette, notamment le sciaccarellu. À ce jour, il existe une exception parmi les bulles corses : la singulière cuvée Empire Extra Brut du Domaine Comte Abbatucci, rare et de belle facture, élaborée en méthode traditionnelle à partir du cépage barbarossa, mais réalisée par un prestataire sur le continent, dans le Var.
Avec Avvizza, la tradition est bousculée. Ce projet ouvrira certainement la voie à d’autres initiatives autour des cépages insulaires. Le domaine de Murtoli, qui a lancé son premier millésime en 2024, envisage même de s’y essayer.